mardi 31 décembre 2013

LES MANIÈRES DU SILENCE

  Nous les amérindiens, nous savons ce qu'est le silence. Nous n'en avons pas peur. De fait, il est pour nous plus puissant que les mots.

  Nos ancêtres furent éduqués aux manières du silence et ils nous ont transmis cette connaissance. Ils nous disaient : observe, écoute et ensuite agis. Ceci est la bonne façon de vivre.

  Observe les animaux pour voir comment ils prennent soin de leurs petits. Observe les anciens et vois comment ils se comportent. Observe l'homme blanc pour voir ce qu'il veut. Observe toujours d'abord, avec le cœur et l'esprit tranquilles, et alors tu apprendras. Lorsque tu auras suffisamment observé, tu pourras agir.

  Les hommes blancs font le contraire et apprennent d'abord à parler. Ils récompensent les enfants qui parlent le plus à l'école. Au cours de leurs fêtes, tous parlent sans arrêt. Au travail, ils ont des réunions où tout le monde interrompt tout le monde et tous parlent cinq, dix ou cent fois. Ils appellent cela "résoudre un problème". Lorsqu'ils se trouvent dans une pièce où règne le silence, ils deviennent nerveux, sont désorientés. Il leur faut remplir l'espace avec des sons et des bruits. C'est ainsi qu'ils parlent de façon impulsive, avant même de savoir ce qu'ils vont dire. 

  Les hommes blancs aiment la dispute. Ils ne permettent même pas que l'autre finisse une phrase. Ils coupent sans cesse la parole. Pour nous les amérindiens, ceci est extrêmement irrespectueux et même très stupide. Si tu commences à parler, je ne vais pas t'interrompre. Je t'écouterai. Lorsque tu auras fini, je prendrai ma décision sur ce que tu as dit, mais je ne te dirai pas si je ne suis pas d'accord, à moins que ce soit réellement important. Dans le cas contraire, simplement je me tairai et je m'éloignerai. Tu m'as dit ce que j'ai besoin de savoir. Il n'y a rien de plus à dire. Mais pour la plupart des hommes blancs, cela ne suffit pas.

  L'homme blanc devrait penser ses paroles comme s'il s'agissait de semences, de germes ou de grains. Il devrait les planter, et ensuite leur permettre de grandir en silence... Nos ancêtres ont enseigné que la Terre Mère nous parle toujours, mais que nous devons garder le silence pour l'entendre...    

  N'oublie pas, il existe bien d'autres voix que la nôtre. Bien d'autres voix... 
(Kent Nerburn, Neither Wolf nor Dog. On Forgotten Roads with an Indian Elder, Novaro, New World Library, 2002, p. 304)

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